Entre 1982 et 1988, Mansour Shaiek a remporté, avec le Club Athlétique Bizertin, quatre titres, incarnant les beaux jours du club nordiste.
«Nous possédions la technique, le caractère et la solidarité, souligne l’ancien milieu de terrain droit, le seul poste qu’il occupa. Je ne pense pas qu’une autre génération bizertine puisse rééditer un tel parcours, surtout que le football est désormais affaire de moyens et de puissance financière».
Plongée dans les années fastes de l’admirateur de Hamda Ben Doulet, son propre coéquipier.
Mansour Shaiek, dites-nous d’abord, comment êtes-vous venu au CAB ?
En participant à un tournoi inter-quartiers, à Bizerte au sein de l’équipe de Mateur. J’ai été repéré par le grand formateur Hamadi Ouerdiane qui entraînait alors les juniors cabistes. En fait, depuis 1971 je portais déjà les couleurs de la Vague Sportive de Menzel Abderrahamane. L’adaptation à ce nouvel environnement a été un peu difficile. A vrai dire, je n’ai pas longtemps trainé avec les juniors du CAB. Sous la houlette de Taoufik Ben Othmane, j’ai vite rejoint l’équipe fanion. Mon premier match avec les seniors s’est soldé par un nul (2-2) à Bizerte contre le Stade Tunisien.
Et avec Menzel Abderrahmane ?
Ma première sortie avec les seniors du club de ma ville natale, je l’ai disputée à Soliman. Grâce à mon doublé, nous avons gagné (2-1). Je n’avais alors que 17 ans.
Vos parents vous ont-ils encouragé à pratiquer le football ?
Au début, mon père Hmaied était réticent. Je pratiquais ce sport un peu à son insu. Mais une fois promu parmi les seniors de Menzel Abderrahmane, puis de Bizerte, j’ai pu bénéficier de son indulgence qui allait vite se transformer en passion débordante pour ce jeu. Toutefois, mon père évitait d’aller au stade de peur d’entendre des gens m’insulter. Le miracle a fini par se produire. Un jour, l’ancien joueur du CAB, Driss Haddad, qui était son collègue à la STIR, a fini par le convaincre de l’accompagner au stade. Comme par hasard, j’ai sorti ce jour-là un de mes meilleurs matches. Tout le public scandait mon nom: «Mansour, Mansour, Ooooh!». Il en devint très fier. Malheureusement, il n’allait presque plus revenir au stade, préférant regarder nos matches à la télé. Quant à ma mère Mahbouba, elle tenait à se montrer enthousiaste. Certes, elle ne comprenait pas grand-chose au foot. Mais elle me préparait le sac, repassait mon maillot et cirait avec amour mes crampons.
Quelles furent vos meilleures sorties ?
Contre l’ESS en quarts de finale de la coupe de Tunisie 1986-87. Menés au score à la mi-temps, nous avons pu renverser la vapeur et nous imposer (2-1). Tout ce que j’avais de meilleur, je l’ai sorti à cette occasion-là. Il y eut également un match à Sfax contre le CSS. Hamadi Agrebi enchantait l’assistance par-ci, je lui répliquais par-là. Un pur moment de magie.
Et votre plus joli but ?
En coupe de Tunisie, à Bizerte contre le CS Hammam-Lif. Jusqu’à la dernière minute, les Banlieusards nous accrochaient toujours (1-1). Mais j’ai fini par crucifier Sahbi Sebaï.
Demi offensif de couloir droit: quelles sont les qualités requises à ce poste
Vision, technique, placement et lecture du jeu. Je possédais une «délicieuse» cheville qui me permettait d’offrir des caviars à Hamda Ben Doulet.
Avec quel joueur vous vous entendiez le plus ?
Avec notre ailier droit Mourad Gharbi.
Quels furent vos entraîneurs ?
Taoufik Ben Othmane, Mokhtar Tlili, Youssef et Larbi Zouaoui, Dragan, Kulesza…Taoufik me parait être le meilleur d’entre eux, car il sait mettre une ambiance de tonnerre.
Depuis le moment où votre génération a tiré sa révérence, le CAB ne parvient plus à remporter le moindre titre, hormis la coupe 2013 ?
L’ambiance était exceptionnelle au sein du club, nous vivions en famille. Une bande de vrais copains. Je ne pense pas qu’on rigolait autant ailleurs. Le journaliste de la télé nationale, Ridha El Oudi, qui nous accompagnait souvent dans nos déplacements, nous le disait souvent: «C’est formidable, je n’ai pas trouvé une telle ambiance ni au CA ni à l’EST !».
Et puis, il y avait de la qualité. L’effectif dans lequel j’ai évolué constituait un condensé de talent et de volonté: Almia, Bourchada ou Ben Chaâbane dans les bois, Kchok, Souissi, Romdhana, Hamda Ben Doulet, Mourad Gharbi, Hosni Zouaoui, Chellouf, Dziri, Mohsen Gharbi, Mfarrej, El May… Avant cela, il y eut l’équipe vainqueur de la coupe de Tunisie 1982 et le championnat de Tunisie 1983-84 avec les Baratli, Ghazi Limam, Mahmoud Jerbi, Turki…Personnellement, j’ai pris part aux quatre sacres de ces années 1980 bénies.
Quel est le meilleur joueur de ces générations cabistes ?
Hamda Ben Doulet. Je n’ai jamais vu un joueur aussi généreux sur le terrain. Même malade, il était capable de sortir un même rendement.
Ce n’est pas un hasard s’il a été l’homme de la décision en finale de la coupe 1982 et en finale retour de la coupe d’Afrique des vainqueurs de coupe, contre les Nigérians de Rancher Bees, en 1988 à El Menzah. D’ailleurs, dans ce dernier match, il a repris un tir que j’ai décoché pour corriger sa trajectoire et inscrire le but du sacre continental, le premier de l’histoire du football national.
Le 2 juin 1982, alors que la Coupe du monde se jouait en Espagne, le CAB a réussi un véritable exploit en remportant la première coupe de son histoire devant le Club Africain, pourtant donné largement favori…
Les sportifs ne donnaient pas cher de nos chances, mais on avait tout à gagner et rien à perdre. La performance était à ce point sensationnelle que nous avons dominé le grand Club Africain, y compris dans le jeu. Je me rappelle que Mondher Mokrani s’était présenté par deux fois seul devant Slim Ben Othmane, le gardien clubiste, mais manqua de lucidité et de sang froid. En face, un ballon de Hédi Bayari prenait le chemin des filets. Je ne sais pas comment notre keeper Abderrazak Ben Chaâbane l’a sauvé au tout dernier moment.
Jamais championnat de Tunisie n’avait été aussi serré et disputé que celui que le CAB a remporté en 1983-84.
A l’arrivée, vous gagnez le titre avec 62 points, devant le ST (62 pts aussi, mais un moins bon goal-average de l’aller), l’ESS (61) et le CA (61).
Je me rappelle de la dernière journée, pathétique et au suspense hitchcockien. A El Menzah, il aurait pourtant suffi au Stade Tunisien une simple victoire contre le Club Africain pour être sacré champion de Tunisie. Mais il n’y avait rien à faire: malgré plusieurs occasions, Hergal et compagnie ne parvenaient pas à marquer ce but providentiel. L’arbitre Mohamed Salah Bellagha a même ajouté sept ou huit minutes de temps additionnel, ce qui n’arrivait presque jamais en ce temps-là. Pendant ce temps, nous étions assis sur le gazon du stade olympique de Sousse à attendre de bonnes nouvelles d’El Menzah. Nous venions d’accrocher l’Etoile Sportive du Sahel (1-1). Commençaient pour nous les six minutes les plus longues de notre histoire. Nous ne comprenions pas qu’à El Menzah, la partie ST-CA puisse durer aussi longtemps. Puis, la délivrance. Je ne vous décris pas notre sentiment…
Quel est le secret de ce sacre unique, le CAB n’allant plus remporter le championnat de Tunisie?
Il faut dire que notre président, Mohamed Belhaj a senti venir le coup. Je me rappelle son discours dans la première réunion d’avant-saison en présence des joueurs et de notre entraîneur Youssef Zouaoui. «C’est l’année ou jamais, car il ne manque plus rien au CAB pour viser haut», a-t-il insisté. La motivation et les primes ont suivi. Et puis, nous étions conduits par un grand technicien, sérieux et discipliné.
A partir de quel match avez-vous vraiment eu le sentiment que le CAB allait créer l’événement et relever le défi ?
A cinq journées de la fin, lorsque nous avons battu le Club Sportif Sfaxien (1-0) grâce à un but de Salah Chellouf. Notre stade était suspendu deux matches, et nous avons dû aller jouer à Bousalem. Tous les grands clubs, nous les avions battus à Bizerte. Paradoxalement, ce sont les équipes de seconde zone qui nous causèrent le plus de soucis: le Stade Sportif Sfaxien, l’Union Sportive Monastirienne…
La première coupe d’Afrique de l’histoire du football tunisien, c’est le CAB qui l’a remportée en 1988. Cela doit vous procurer une fierté légitime, non ?
Ah oui. Le défi était immense. Peu de gens croyaient que nous étions capables d’aller jusqu’au bout, surtout que, la saison d’avant, l’Espérance Sportive de Tunis avait échoué en finale de la même compétition contre les Kenyans de Gor Mahia. A chaque tour, les gens disaient que nous allions tomber. Je me rappelle qu’au premier tour, nous avons perdu le match aller, à Bizerte même (1-0) contre les Algériens de l’USM El Harrach. En allant disputer le match retour, aux douanes tunisiennes, on nous chambrait: «Qu’iriez-vous faire là-bas puisque vous avez déjà perdu chez vous ?», nous disait-on. Eh bien, on a gagné là-bas (1-0) et assuré la qualification aux penalties (6-5).
Suivez-vous toujours votre club de cœur, le CAB ?
Non, pas vraiment. Il faut dire que la santé ne me donne plus l’opportunité de le faire. Chaque fois où je vais au stade 15-Octobre, je rentre déçu par le spectacle et par le comportement de mon club. Le foot a énormément changé. Au meilleur des cas, vous ne trouvez pas davantage qu’un ou deux bons joueurs par équipe. On jouait sur terre battue, sans calculs. Aujourd’hui, le footballeur qui porte le maillot du CAB pense déjà au prochain club dans lequel il va débarquer la saison d’après. On n’a plus qu’un seul objectif: gagner du fric. Et puis, c’est l’anarchie la plus totale dans notre football: violence, chauvinisme, régionalisme, haine, arbitrage télécommandé et mauvaise gestion de la part de la fédération.
Quel est à votre avis le meilleur footballeur de l’histoire du CAB ?
Incontestablement Hamda Ben Doulet. Arrive après Mourad Gharbi.
Et le meilleur joueur tunisien de tous les temps ?
Mis à part Hamadi Agrebi, le genre de footballeur aiguillonné par le plaisir, ce qui fait qu’il soit parfois irrégulier, il y a Nejib Gommidh, très bon aussi bien à la récupération qu’à la construction. De plus, c’est quelqu’un de très éduqué.
Que représente pour vous le CAB ?
La seconde famille qui m’a vite adopté et permis d’assurer mon avenir. Mon club m’a trouvé un job à la Cimenterie de Bizerte où j’ai exercé entre 1980 et 2010.
Avez-vous jamais été contacté pour aller dans un autre club ?
Avant ma grave blessure, Moncef Khouini m’a contacté pour signer au Club Africain. Un été, j’étais parti en France effectuer un test avec l’équipe «B» de l’Olympique Lyonnais. Toutefois, ni mon père ni notre président Mohamed Belhaj ne voulaient entendre d’une signature dans un club français.
Parlez-nous de votre famille
J’ai épousé Leila en 1985. Nous comptons trois enfants: Maher, cadre d’une société privée et titulaire d’un doctorat en mathématiques décroché en France, Marwa, mariée en 2015 à un jeune de Menzel Jemil, et Wassim.
Comment passez-vous votre temps libre ?
J’aime la mer et la pêche. A la télé, je regarde les matches de mon club préféré, la Juventus.
Enfin des regrets pour n’avoir pas réussi une carrière en équipe nationale ?
Cela relève de la malchance. En 1983, alors que je montais en puissance, et que j’appartenais à la sélection olympique coachée par Jamaleddine Bouabsa laquelle comprenait Abdelhamid Hergal, Slim Ben Othmane, Mohamed Khelil…, j’ai contracté une double fracture tibia-péroné dans un contact avec le milieu défensif de l’Espérance Tunis, Mohamed Ben Mahmoud. Il m’a fallu un an et demi avant que je puisse rejouer. J’ai subi une opération non réussie à Tunis, puis une seconde en France. La rééducation, c’est dans l’ex-Yougoslavie que je l’ai effectuée. Bref, mon ascension a été du coup brisée net. Adieu mes rêves de rejoindre un jour l’équipe de Tunisie, l’objectif suprême dont rêve chaque joueur.